L'Uchronie

I- Introduction

      Genre littéraire encore peu connu en France, et d’invention assez récente, l’uchronie consiste à réécrire de manière logique, crédible et probable l’Histoire telle qu’elle aurait pu se produire, si le cours des événements que nous connaissons avait été modifié.

II- Son origine

     Le nom d’uchronie a été créé en 1857 par le philosophe français Charles Renouvier sur le modèle du mot utopie, à partir de deux éléments grecs : le préfixe négatif u- et chronos, le temps. Étymologiquement, une uchronie est un « non-temps », un temps qui n’existe pas, de même qu’une utopie est un « non-lieu », un lieu imaginaire (et souvent idéal, parfait). L’uchronie, qui peut donc se définir comme une « époque fictive »,  elle prend son point de départ dans l’Histoire aérée, réelle, et non dans un futur hypothétique, pourtant, elle est considéré comme un sous-genre de la science-fiction.

     L’idée de réécrire l’Histoire en imagination n’est pas nouvelle ; on en trouve un premier exemple chez l’historien romain Tite-Live (59 avant J-C - 17 après J.C.), qui se demande ce qui serait passé si Alexandre le Grand, au IVe siècle avant J.C., au lieu de conduire ses armes vers l’est de la Grèce, avait poussé sa conquête vers l’ouest, vers Rome. Mais le premier ouvrage tout entier fondé sur l’uchronie date de 1836, année où parait Napoléon ou la conquête du monde, de Louis Geoffroy, roman dans lequel Napoléon évite à son armée le désastre militaire de la Bérézina, en Russie, et s’empare de toute l’Europe, Angleterre comprise.

 

Les grands principes de l’Uchronie : L’uchronie, également appelée « histoire alternative », est une hypothèse historique imaginaire, qui relève du domaine de la création littéraire. Pour qu’elle soit vraisemblable, que le lecteur croie à sa possibilité, l’uchronie doit s’appuyer sur deux principes :

-Un événement fondateur : Toute uchronie a pour point de départ un événement (ou un ensemble d’événements) historique réel, qui s’est effectivement produit. L’événement choisi (une bataille, une guerre, une révolution, le règne d’un roi…) est souvent une période charnière, et particulièrement marquante de l’histoire.

-Un point de divergence : L’instant précis où le cours de l’Histoire réelle est modifié est appelé le point de divergence : on entre dès lors dans l’Histoire alternative et fictive, et dans le domaine littéraire du « que se serait-il passé si… ? ». Un récit uchronique peut débuter avant ou pendant le point de divergence : dans ce cas, le lecteur assiste « en direct » à la modification du cours des événements réels, et en constate les conséquences immédiates. Mais certains auteurs préfèrent démarrer leur récit longtemps après le point de divergence, plongeant leur lecteur ex abrupto au cœur des conséquences lointaines de la modification historique, et lui laissant donc le soin de comprendre ce qui a pu être modifié.

-Un genre philosophique ? Beaucoup de récits uchroniques portent en eux une réflexion philosophique sur l’histoire et le temps, car ils jouent avec le fameux « effet papillon » : la modification d’un seul événement entraine une suite de conséquences historique plus ou moins importantes. En affirmant que l’Histoire peut être modifiée, même par la seule imagination, l’uchronie réfute en effet l’idée selon laquelle tout serait déjà écrit d’avance ; elle dénonce la fatalité (et le fatalisme), et montre que le cours de l’Histoire dépend parfois d’un petit détail ou de l’action, même minime, d’un seul homme. De plus, en montrant ce qui pourrait ou aurait pu advenir de pire, si l’Histoire avait été différente (par exemple si l’Allemagne nazie avait gagné la Second guerre mondiale), l’uchronie est également porteuse d’une réflexion morale sur la faculté qu’a l’homme d’influencer son destin.

III- Ses oeuvres

     L’uchronie suscite désormais de plus en plus l’imagination des écrivains : des plus anciens romans uchroniques aux plus récente, voici quelques jalons importants qui ont marqué l’histoire du genre.

 

Napoléon et la conquête du monde, 1812-1813, par Louis Napoléon Geoffroy-Château, roman paru en 1836

     En 1812, Napoléon se lance à la conquête de la Russie, mais devant les conditions terribles de cette campagne militaire, il renonce à la poursuivre (et c’est là qu’on entre dans la fiction, dans l’uchronie) ; fuyant Moscou, il évite ainsi le terrible désastre de la Bérézina, qui ne se produira donc jamais. Sa puissante armée peut ainsi entreprendre de conquérir le reste du monde… Premier roman totalement uchronique, Napoléon et la conquête du monde pose les fondements du genre, notamment la notion de « point de divergence », moment à partir duquel l’histoire rentre dans la fiction.

 

Un coup de tonnerre, par Ray Bradbury, nouvelle parue en 1952.

     Une société propose à ses clients d’aller chasser… le tyrannosaure, grâce à une machine à remonter le temps ! Eckels, chasseur appréciant les sensations fortes, tente sa chance. Seule contrainte : ne jamais sortir de la plate-forme de la machine, afin de ne pas risquer de modifier le futur. Malheureusement, la partie de chasse tourne à la catastrophe… Cette nouvelle est l’un des premiers textes du genre à traiter l’uchronie en employant le thème du voyage dans le temps. Elle pose également les bases d’une théorie cruciale pour l’uchronie, celle de « l’effet papillon », ou l’idée que tout changement peut avoir des répercussions énormes sur le futur.

 

Pavane, par Keith Roberts, roman paru en 1968

     En 1588, l’Espagne catholique gagne la guerre qui l’opposait depuis 10 ans à l’Angleterre : tel est le point de départ de cette uchronie (car dans l’Histoire réelle, ce sont les Anglais qui ont gagné cette guerre). L’Angleterre, donc, est soumise à l’autorité du Pape, autorité que l’Église anglicane (l’Église d’Angleterre) avait rejetée. Ainsi, l’Église catholique de Rome a pu étendre sa domination sur toute l’Europe. Les siècles, depuis, ont passé. Mais l’Église tient toujours sous sa coupe de fer les populations auxquelles elle refuse tout accès au progrès de la connaissance et de la technologie. Pourtant dans l’ouest de l’Angleterre, une révolte venue des temps les plu anciens, ceux des fées et des esprits de la lande, commence à se lever… Ce roman, unanimement célébré comme l’un des plus beaux du genre, est aussi l’un des meilleurs représentants du courant uchronique.

 

Fatherland, par Robert Harris, roman paru en 1992

     En 1964, à Berlin, l’enquête sur deux meurtres troublants d’anciens haut dignitaires nazis est confiée à l’inspecteur March. Mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à découvrir dans cette Allemagne nazie qui a gagné la Seconde Guerre mondiale, surtout lorsqu’elles remettent en cause, dans toute leur horreur, le plus haut sommet de l’État. Ce roman, entre l’uchronie et le polar, reprend magistralement l’un des thèmes favoris des écrivains d’uchronie ; la Seconde Guerre mondiale gagnée non par les Alliés, mais par l’Allemagne nazie.

 

Le complot contre l’Amérique, par Philippe Roth, roman paru en 2004

      Charles Lindbergh, le célèbre aviateur, est élu président des États-Unis à la place de Roosevelt, en 1941. Sympathisant du régime nazi, le nouveau président signe un pacte de non-agression avec l’Allemagne de Hitler. La communauté juive américaine tremble désormais de ne plus être en sécurité dans son propre pays. Philippe Roth l’un des plus grands auteurs américains actuels, signe avec ce roman une uchronie très personnelle (le narrateur, qui porte le nom de l’auteur, raconte ses souvenirs d’enfance) et aussi très profonde dans sa réflexion sur la précarité de la liberté.

Date de dernière mise à jour : 09/05/2020

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